mardi 1 septembre 2009

Interview de Mavro Hader

J’ai rencontré Monsieur Mavro Hader, lors du dernier repas thématique. Il était devenu locataire depuis quelques jours. Ses origines croates m’ont fait renouer avec le souvenir d’une guerre ayant laissé des traces en ma mémoire. Je fais référence à la Guerre de Yougoslavie. Cette guerre provoqua le désir de participer à un numéro thématique littéraire évoquant les violences de l’humanité. J’y signais un récit à deux voix dont le titre était « De Sarajevo à Montréal « (Revue littéraire Moebius 83 – Décembre 1999 – J’avais également la responsabilité de la préface). La rencontre avec un Croate me faisait renouer avec l’éclatement de la Yougoslavie, et particulièrement avec ces cultures qui, malgré le communisme, ont gardé une identité. Ce que nous révèle Monsieur Hader à travers l’interview. J’ai voulu partager ses confidences avec vous tous du Mile-End.




J.G.: Vous êtes au Québec depuis longtemps, mais votre accent trahit l’appartenance à une autre culture. De quelle origine êtes vous? 
 M.H.: Je suis d’origine Croate.

J.G.: La Croatie n’a-t-elle pas été longtemps rattachée à la Yougoslavie?
M.H.: En effet. Ce petit pays présente une histoire millénaire où il y eut des périodes d’appartenance à la Serbie.

J.G.: Pouvez-nous situer davantage sur les chocs interculturels qui pourraient resurgir à partir de l’ouverture des frontières
M.H.: La population répond bien à l’absence de frontières. Ce qui favorise les échanges dans l’harmonie. 
 
J.G.: Serbes et Croates ont-ils une langue commune?
M.H.: Vous savez, tout en parlant une même langue, à savoir le Serbo-Croate, lorsqu'il faut passer à l'écrit intervient l'incompatibilité, car d'un côté on a le peuple Serbe et son lien avec l'alphabet « syrillique » lié à la langue russe; de l'autre le peuple Croate dont la langue se rattache aux langues latines. Comme vous le voyez, d'un côté : le lien ramenant les Serbes vers L'Est les Croates vers l'Ouest. 
 
J.G.: Vous avez quitté la Croatie en quelle année?
M.H.: J’ai quitté définitivement en 1967, tout en devant préciser que j’ai vécu de nombreuses années hors de Croatie par mes études à Paris. Mais je revenais régulièrement dans mon pays.

J.G.: Par ces études post-universitaires, vous avez vécu de nombreuses années en France. Vous y avez même fondé une famille par votre mariage à une Française. Les Beaux-Arts terminés, vous ne songiez pas retourner vivre en Croatie?
M.H.: Non. J’y revenais souvent avec ma femme et notre fille Florence, mais il me suffisait de pouvoir circuler librement et cela m’était possible du fait que j’évitais les discussions politiques compromettantes qui auraient pu me créer des ennuis avec le régime communiste.

J.G.: Êtes-vous allé en Yougoslavie durant la guerre de Sarajevo ?
M.H.: Non, c’était trop dangereux.

J.G.: Est-ce que des différences culturelles ont véritablement pu se vivre harmonieusement dans la grande fédération de la Yougoslavie de l'époque? Je vous le demande parce que lors de la déclaration de la guerre de Sarajevo, des journalistes laissaient entendre que Sarajevo s'avérait ville « modèle » d'un multiculturalisme ouvert et harmonieux. Qu'en pensez-vous?
M.H.: On ne peut pas effacer l’Histoire…elle est là pour toujours. Sarajevo s’avérait multiculturelle, mais si on retourne aux différences culturelles de ces peuples, il y avait nécessité de passer à la souveraineté pour ces pays que sont la Bosnie Herzégovine, la Serbie, la Croatie, la Macédoine, etc. Ce qui les fait évoluer politiquement de façon plus réaliste tout en débouchant sur l’ouverture des frontières.

J.G.: Toutefois, malgré l’éclatement et la souveraineté de plusieurs pays, il reste que des territoires comme le Kosovo n’ont pu être conquis par les Serbes. Ce qui reste une défaite pour les Serbes compte tenu de l’Histoire de la grande Serbie. Je fais référence à la Bataille du Kosovo qui eut lieu en 1389, et qui, pour les Serbes reste un fait incontournable. Comment concilier tout cela sans penser que le territoire reste dans une paix plutôt artificielle?
M.H.: Il est important que les frontières s’effacent tout en faisant que chaque pays ressente son appartenance culturelle. Même si tout n’a pas été conquis, les guerres d’autrefois ne seront plus possible, car nous sommes à l’heure de la Grande Europe et ces petits peuples veulent l’absence de frontières et la souveraineté. Il faut se rappeler que les guerres décimaient les familles. J’ai moi-même perdu père et grand-père lors de deux guerres mondiales.

J.G.: Par les journaux, on perçoit que la Croatie a pu traverser les turbulences de l’éclatement de la Yougoslavie sans trop de mal?
M.H.: L’absence de liberté qui venait du régime communiste aura favorisé l’idée d’une souveraineté en vue d’acquérir la liberté. Le peuple a vécu l’époque du Stalinisme. Ce qui fait que le totalitarisme était partout, même à l’école. L’enseignement de l’époque était sous la gouverne du régime communiste et nul n’aurait pu devenir professeur sans d’abord avoir adhéré au Parti communiste. La méfiance se vivait à tous les niveaux.

J.G.: Un jour…vous décidez de quitter la France pour venir vivre au Canada. Pourquoi?
M.H.: C’était en 1967. Architecte de métier, je ne pouvais que m’intéresser à cette exposition. Je suis resté trois semaines. Quand je suis rentré, j’avais l’intention de revenir pour y vivre, car j’avais aimé l’art de vivre du Québec. Ma femme était d’accord.

J.G.: Pour le touriste qui arrive en terre Croate…il arrive à se faire comprendre à partir de quelle langue?
M.H.: L’anglais et le français.

J.G.: Je fais l’interview au moment où vous revenez d’un voyage de deux semaines en Croatie. Si je vous demandais de me signaler brièvement ce qui aura attiré votre attention?
M.H.: La liberté de pensée et d’agir des gens. Nos frontières sont celles de l’Europe et tout le monde circule sans visa.

J.G.: Vous qui avez beaucoup voyagé et qu’on nomme le « pigeon voyageur » avez-vous un souhait particulier pour la Croatie?
M.H.: Mon rêve était lié à l’ouverture des frontières et ce rêve est maintenant de la réalité. Je ne peux rien demander d’autres.

J.G.: Vous m’avez fait part de l’implication de votre fille Karen dans les bastions de la culture québécoise. De quel milieu culturel s’agit-il précisément?
M.H.: Par leur mère, mes enfants sont de descendance française. Au fil de ses études, ma fille Karen Hader s’est orientée vers des études en rapport avec des affinités qui l’ont menée vers des milieux culturels branchés (radio et télévision). Elle est devenue speakerine. Elle fait partie de l’équipe rattachée à la Radio Classique FM de Jean-Pierre Coallier et son fils.

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