jeudi 28 octobre 1999

Lettre ouverte au Ministre Jean Rochon

Monsieur Jean ROCHON
Ministre responsable de la Recherche, de la Science et de la Technologie
Gouvernement du Québec
Objet : Les menaces de la technologie sur le citoyen ordinaire

Monsieur le ministre,

Je m’adresse à vous dans le cadre de menaces que génère l’évolution des technologies.  Tout en se reconnaissant du village global, le citoyen appartient à son milieu socio-communautaire, mais  avant tout à l’intimité du lieu domiciliaire.


On peut s’interroger sur l’envahissement des territoires que veut l’évolution de la science.  Encore faudrait-il distinguer le rapport éthique qui se joue sous divers plans. L’inforoute a sonné l’alerte quant à l’absence de frontières.  Mon propos vise l’ensemble des technologies.

Tout individu, même le plus éloigné de la technologie, reconnaîtra qu’il y a eu bouleversements de son univers. D’abord par le vocabulaire; ensuite par les inconnus pouvant s’infiltrer jusque dans les coins et recoins du territoire privé. Car, ce territoire que la Charte des droits dit inviolable est, lui aussi, déstabilisé par les puces et alliances technologiques. Advenant l’absence d’un code d’éthique, advenant l’absence d’information quant aux codes et modes d’utilisation d’un ensemble de technologies en évolution, le dernier rempart humain pourrait y perdre des droits. Et ce serait la fin de l’intégrité domiciliaire.

Mon propos restera au niveau des droits à l’intégrité domiciliaire, quelle que soit l’évolution des petites et grandes technologies. Si je ne mets en compte l’inforoute et ses empiètements sur les droits, c’est que d’autres se sont penchés sur la problématique des communications, et plus encore! (Éthique des inforoutes en milieu de travail – La surveillance informatique, par Monique Fréchette – Revue SFPQ, no 2, juin 1999, page 28).

Néanmoins, tout en restant dans le vaste panorama des technologies, je fais surtout intervenir les menaces sur le territoire domiciliaire. Car, la complexité des technologies dépasse la petite et grande usine. Bref, les codes cachés de ce pouvoir multidimensionnel pourrait servir le pouvoir pervers. Jusqu’à favoriser la petite dictature en logement. Ce qui peut conduire à l’évincement du domicile à partir d’une domination sophistiquée. Tout ceci en dehors des sentiers de l’inforoute. On est sur le plancher des vaches mais la science et ses alliances viennent traquer le territoire.

Il s’agit de faits isolés mais inquiétants. Le domicile y perd ses frontières. Le havre n’en est que plus vulnérable dans ce rapport de forces débridées! Si l’individu piégé ne peut se défendre à travers ses droits, où vont la démocratie et l’humanisme? Dans ce type de domination peut surgir l’agresseur sans visage sur nos remparts domiciliaires. En toute impunité! Ce qui est reconnu pour l’écoute électronique et la surveillance par caméras, voire pour les enregistrements parasites déformant les bruits ambiants (aussi dans le milieu des logements) restera ésotérique, sinon profil d’une guérilla pouvant se transmettre par voie de filière. La chaîne pourrait désormais transmettre un programme et ses pièges!

Aux abords de ce IIIe millénaire, l’ignorance croît de jour en jour, car la science avance tout en nous abandonnant à l’insécurité de l’analphabétisme. Ce qui reste cas isolés et tus demeure symbolique d’une nécessité éthique. Sinon, l’habitat ou dernier rempart du citoyen sera menacé par l’évolution des technologies savantes et/ou patentées par le pouvoir anonyme. Toutes ces technologies ont créé un nouvel analphabétisme. Vous le reconnaîtrez, la grille du savoir est désuète et sans rapport avec la connaissance du citoyen ordinaire. Bref, l’évolution galopante des sciences fait de chacun de nous des individus en déficit de connaissance. Le besoin de la communauté n’en est que plus grand.

Dans ces bouleversements, il s’agit de faire évoluer la démocratie et l’humaniste à travers l’éducation et la protection des droits. D’où l’importance d’ouvrir le débat sur la vulgarisation des communications, tout en faisant l’éducation des codes cachés de l’outil. Il pourrait même y avoir place à la création de nouvelles normes, telles les détecteurs permettant de dévoiler les indices d’une frontière piégée. Le code d’éthique servirait de premier barême. Ne le fait-on pas avec les détecteurs de fumée imposés par les lois de la construction?

Que ce soit pour les États-Unis dans l’image de règlements de compte au sein des écoles américaines, que ce soit à Londres pour la férocité intervenant sur les marginaux, que ce soit pour la dictature appliquée au Kosovo, que ce soit pour l’homme et la femme de la rue confrontés au pouvoir clandestin, il existe un danger sur le plan des technologies, à savoir : s’approprier des droits sur l’autre à travers les rapports de forces (économiques et/ou technologiques / individu et/ou groupes-sociétés).

Vous l’aurez remarqué, Monsieur le ministre, lors du remaniement ministériel, on a vu dans vos nouvelles responsabilités « un prix de consolation, a savoir la prise en charge d’un petit Ministère intégrant des responsabilités grappillées ailleurs » (La Presse, Lysiane Gagnon, 22 décembre 1998). Parmi toutes ces responsabilités relevant de votre Ministère, il en est une que j’élève au niveau des grandes valeurs puisque reliées aux droits de la personne.

Il m’est apparu de l’ordre de la nécessité d’adresser ma lettre au Ministre responsable de la Science et de la Technologie, et en même temps, d’en faire parvenir copie à des organismes susceptibles de jouer un rôle quant à l’éducation et l’information du grand public.

Quant à moi, je continuerai ma démarche en vue de servir les droits humains à partir d’une plume responsable. Je deviens un relais incitant les autorités gouvernementales à se pencher sur des faits troubles. Le devoir d’expertise qui s’y retrouve permettra de rapprocher des faits troublants d’un canevas éthique. Je souhaite également provoquer la parole de citoyens-citoyennes isolés et sans recours.

Finalement, ma dénonciation alerte tant votre Ministère que des organismes communautaires susceptibles de rapprocher du droit inaliénable à l’intégrité domiciliaire.


Jeanne Gagnon
Écrivaine

cc..      Fédération des femmes québécoises (Mme Françoise David)
            Régie du logement (Me France Desjardins – Présidente)
            Ministère des affaires municipales (Madame Louise Harel)
            Regroupement des comités-logements (M. Jean-Marie Lafortune)
            Comité logement du Plateau Mont-Royal (M. Pierre Marquis)





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