lundi 18 mai 1998

Quand la culture politique est anémique...

On ne peut mieux évaluer théorie et pratique que dans le rapport au réel. Pour un syndicat, il s’agira de vérifier ses valeurs ou profondeur culturelle dans le vif d’un rassemblement du calendrier. L’Assemblée Générale en est. Les théories deviennent palpables et dans l’entrechoquement, on est confronté à la vérité d’une culture.

Intéressée par le discours syndical, il m’aura fallu intégrer la fonction publique pour mieux cerner ce que sous-tend la pratique. Jusqu’à vérifier ce que ce discours ne peut (ou ne veut) révéler derrière les mots, dans les codes cachés et jusque dans l’astuce d’attitudes protectrices et de dernier ressort.

Mon propos fait lien avec l’assemblée générale des 28 et 29 avril, tout en dépassant l’événement. J’étais de la deuxième soirée (Région de Montréal) et l’une et l’autre avait pour but de ramener la base autour de la version finale d’une convention collective (1998-2002) à entériner. Selon des témoignages, je peux avancer que le rassemblement précédent s’était déroulé selon une même scénarisation. Bref, un document de 50 pages à cautionner ; la banderole affichant le retard idéologique du Syndicat de la Fonction Publique Québécoise (S.F.P.Q.) et les accrochages autour d’une procédure malmenant la démocratie.


Le syndicalisme est malade

Premier constat : L’écart existentiel entre base et structures hiérarchiques se partage entre l’indifférence et l’angoisse, entre l’indifférence et l’absence de crédibilité du syndicat. L’assistance aux assemblées ponctuelles peut varier entre une poignée d’individus venus se rassurer ou aux nouvelles (quelques centaines lors de la dernière assemblée). Parfois, entraînés d’autorité vers le rassemblement. Le ton de la convocation, voire l’imprécation peut faire la différence. Même les plus politisés restent de la base non fervente.

Deuxième constat : Les objectifs du discours sont diffusés selon deux modes. L’un est porteur des idéologies formalistes, et surtout diffusé par publications ou lors de rassemblements de masse. L’autre mode vient de rencontres ponctuelles et fait intervenir le lien entre base et théories d’une convention collective.

La base vit le paternalisme entre les idéologies et l’angoisse reliée aux transformations du travail. Les mutations du travail la mettent en face d’un monde en effritement. Elle se rapproche du syndicalisme mais sans pour autant dépasser les menaces autour du travail.

Jusqu’à maintenant, le syndicalisme m’est apparu désireux d’une distance avec la base. Prenons pour exemple le journal de la S.F.P.Q. Depuis un an, ce journal (format revue) a ouvert ses pages à la base. La rubrique Courrier est une plate-forme, voire un pont pouvant donner des résultats pour l’entrechoquement des idéologies autour du syndicalisme d’avenir. On y reste dans le cantonnement intellectuels-base, et les structures tentent de cloisonner sa base dans les idées cuisinées, sinon autour d’opinions non menaçantes. A preuve : a) la censure, voire la réécriture de textes qui lui sont adressés ; b) l’avertissement formel de faire parvenir des textes courts.

Troisième constat : A partir du moment où l’on admet qu’une culture a des mémoires, il nous faut tenir compte de celles d’un syndicalisme ayant donné à la classe ouvrière ses lettres de noblesse. Les acquis mnémoniques sont remis en question à travers le mondialisme, la fraternité ouvrière se voyant confrontée à l’échec de la Gauche et à la montée d’une fraternité des entreprises (multinationales), celle-ci plus menaçante que jamais parce que doublée par l’Accord Multilatéral sur les Investissements (A.M.I.). Dans cette remise en question des mémoires syndicales, l’absence de solidarité, la difficulté de statuer sur l’avenir et même forger un pendant à la fraternité ouvrière.

Quatrième constat : Si le syndicalisme a échoué dans l’éducation de la base, il continue de mal utiliser le creuset susceptible d’émancipation. Jusqu’à malmener la démocratie dans les travers orientés.

Cinquième constat : Absence d’efficacité du creuset ou non, il reste que la relève ne permet pas d’ouvrir sur l’avenir d’une fraternité ouvrière. L’instinct de la base ne suffit pas. Il faudrait davantage que les interventions tactiques que veut l’instinct de défense. Bref, il faudrait un profil où les idéologies et la pratique vont construire le réel. Ce qui supposerait une base émancipée et solidaire mais elle est quasi inexistante.


Réalités d’appartenance à la réunion du 29 avril
Mais plus encore... réalités d’un syndicalisme en retard

Premièrement : La dichotomie d’un discours déphasé par rapport au présent. Et la première image vient de la banderole au-dessus des têtes des officiers et sous-officiers, dont le message dépassé se révèle en une phrase : «La fonction publique - On n’a pas les moyens de s’en passer». De cette banderole, nous sommes face au discours attentiste du syndicalisme.

Deuxièmement, le mépris de la base très imagé par la déposition d’un document de cinquante pages, lequel est déposé en vue de le faire entériner, alors que les membres en prennent connaissance avec l’ouverture de l’assemblée. Le document sera tout de même adopté en moins de trois heures.

Troisièmement, la célérité et l’ambiguïté qui vient d’un vote à mains levées, surtout lors d’assemblée décisive mettant en compte l’adoption d’une convention collective.

Quatrièmement, l’invraisemblable proposition d’un officier syndical (Président de la section 215) cherchant à favoriser l’accélération autour des questions de la base. Bref, sa proposition voulait que l’on s’abstienne d’interroger le texte. Il avait lu cette convention de cinquante pages, mais la base devait le parcourir et en décoder le langage. Dans les faits, cette proposition visait à écourter le débat critique, bref, il y avait vice de forme.


Le débat et ses angoisses

Le président se sera vu confronter aux angoisses de la base. Question politique à double tranchant, ainsi posée : «Jusqu’où êtes-vous prêt à aller concernant les transformations de postes du secrétariat?» Et notre président de répondre dans l’écho de celui qui pense en stratège tout autant que dans les idéologies. Néanmoins, sa réponse fut un échec en ce sens qu’elle nous renvoyait au miroir d’une culpabilité attentiste. «Nous irons aussi loin que vous voudrez bien nous voir aller» de dire le président-général.

A la deuxième question de la même intervenante, il deviendra muet, pour ne pas dire dépassé par sa base, car celle-ci touchait au miroir confrontant idéologies et pratique idéologique en l’orientant sur le politique. Question éminemment politique pour une personne accrochée à son angoisse: «Avez-vous un embryon ou modèle concernant ce qui pourrait remplacer le secrétariat?» de dire l’intéressée. Il ne put répondre que dans le style alambiqué de l’attentisme.


Il faudra bien sortir de l’attentisme...

Le discours syndical s’est laissé dépasser par le patronat. Car le patronat annonçait, tout récemment, la conversion de certains postes de travail (Journal Info-Carrière, vol. 15, no spécial 1er mai, Conseil du Trésor). Pourtant, l’urgence voudrait que la S.F.P.Q. vienne toucher à tous ces nouveaux modèles que veut la mutation. Ainsi, le secrétariat serait le premier visé par l’urgence de l’ébranlement.

D’entrée de jeu, tout d’abord en statuant sur la dualité des postes de secrétariat classifiés 1 et 2. Il s’agit d’une fumisterie car, l’un et l’autre sont d’une même réalité. Je le sais pour avoir exploré les deux coupes en verticale.

Simultanément, le S.F.P.Q. se devrait de faire connaître son nouveau profil pour le secrétariat. Sinon, le syndicat continue de fossiliser le poste de secrétariat, tout en l’abandonnant sournoisement aux aléas des mutations. Bref, il l’accompagne dans un mutisme attentiste, dans ce mutisme des années de spoliation !


Pourquoi changer la fonction publique

On ne peut plus ignorer les nécessités de transformations voulues par le village global. Il en va de même pour une fonction publique visée à travers l’appareil d’état. Ce monde terriblement coûteux a vécu. La nécessité d’en repenser l’efficacité est nécessaire, tout en protégeant la fonction publique de la décimation que voudrait le néolibéralisme. Tout de même, la lucidité oblige à reconnaître que le leadership et les structures de la grande fonction publique ont besoin d’être orientés vers plus d’efficacité. A ce jour, on y a vécu entre penseurs et exécutants, et il s’y trouve trop «d’allumeurs de réverbères». Il faudra responsabiliser les individus. L’important est que le syndicalisme ouvre aux conséquences du réveil à la responsabilisation. Justement, sur ce versant pourraient se retrouver autant d’atouts que d’exploitation.


Le nouveau paradigme

Ce nouveau paradigme...il est bien au-delà d’un poste de travail. Il est dans la fraternité ouvrière et dans la solidarité que donne une base émancipée et politisée. Néanmoins, si tout passe par nos angoisses individualistes, un jour ou l’autre, on se doit de dépasser le quotidien pour ouvrir sur le collectif et l’avenir des générations. Le communautarisme n’est pas le communisme, mais une interpénétration des solidarités autour de la fraternité ouvrière à reconstruire.

Le discours syndical, et que l’on dit malade, a besoin de briser l’écart avec sa base. Certains milieux américains ont renoué avec la politisation par Teach-in (Intellectuels et syndicalistes américains se redécouvrent, pages 20-21, Décembre 1997). Cette voie pourrait être celle à emprunter pour le syndicalisme québécois.

Parmi les thèmes susceptibles de politisation sur deux versants, à savoir les intérêts personnel et collectif, je pense à la «Déportation de l’épargne québécoise» et les «Coopératives d’habitation».

Le premier sujet a fait l’objet de publications très étoffées. Quant aux coopératives, je fais références aux projets de rénovation de logements de la Ville de Montréal («Logements à rénover», Le Devoir, 23 juin 1997) qui, sous Héritage Montréal et F.I.M. (Robert Cohen, directeur général) pourraient davantage intégrer la collaboration syndicale pour l’évolution de la vie communautaire dans la cité. En juillet 1997, j’ai vainement tenté d’avoir de l’information sur le dossier. Pour constater, après maintes tentatives auprès du F.I.M., qu’il y avait un désir manifeste d’évolution en catimini.

Au sein du village global, on ne peut oublier l’essence même d’une vie communautaire.


Publié dans L’Action nationale, no 6, juin 1998.

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