samedi 26 mai 2001

Lettre ouverte à Paule des Rivières, Journal Le Devoir


Objet: Le harceleur pervers choisira ses victimes pour ce qu’elles ont en plus et non parce qu’elles lui apparaissent faibles[1]

Il faut lire ce livre de la psychanalyste Marie-France Hirigoyen pour comprendre que le harcèlement pervers dont ont été victime Roger Thibault et Théo Wouters de Pointe-Claire[2] n’est pas le fait d’un voisin reconnaissant les voisins immédiats comme des victimes faciles à vaincre dans leurs faiblesses, mais des victimes étant là, à proximité, et qui sont choisies pour ce qu’elles ont en plus et que l’agresseur cherche à s’approprier.[3]


Comme femme, et par la force des choses, j’ai été amenée à m’intéresser au harcèlement psycho physique envers des femmes locataires. J’ai commencé à publier sur le sujet en 1995, et de façon continue entre 1999 et 2001. Par la suite, à l’intérieur de la Marche mondiale des femmes, j’ai animé des ateliers sous la tente «Discussion» afin d’ouvrir au dialogue quant à cette violence mal reconnue. On semble vouloir la situer dans un paramètre de « chicanes entre voisins » alors qu’interviennent des éléments où se jouent les droits de la personne et le droit à l’intégrité domiciliaire.

Dans cette optique, tout au cours de la présente année j’ai amorcé des rencontres en table-ronde afin de développer les solidarités autour d’une dénonciation du harcèlement psychologique et physique en logements. Également dans le but de sensibiliser la plate-forme féministe quant aux agressions en logements interférant sur les droits de la personne et sur le droit à l’intégrité domiciliaire. Ultérieurement, il y aura des tables-rondes en différents milieux communautaires et, en temps et lieu, les médias seront invités.

Lorsqu’il s’agit d’un harcèlement lié à des motifs précis (spéculation ou antagonismes des personnalités) les choses se règleront rapidement. Toutefois, il en va autrement avec le harcèlement pervers. Car, rien ne saurait se régler facilement avec le pervers narcissique, lequel a besoin de détruire l’autre et jusqu’à son bonheur de dire la psychanalyste Marie-France Hirigoyan. Il refusera d’emblée toute entente.[4]
Les rencontres des dernières années m’ont fait côtoyer des femmes au prise avec le profil de violence perverse. Ces profils de violences mettent en compte le harcèlement psychologique et physique envers des femmes locataires, harcèlement intégrant stress intense et agressions physiques, voire même séquestration. Je viens de faire référence à la violence d’une locataire séquestrée et violentée physiquement. Par le parjure, on renvoya l’image de l’automutilation d’une victime, tout en refusant de casser le bail. Elle a dû quitter Montréal pour mettre une distance avec ses agresseurs. Cette femme restera à jamais traumatisée par cette violence.

Par contre, parmi les modèles de harcèlement intégrant les violences psychologiques et physiques, on voit se profiler un modèle marginal et impalpable. Bref, l’agresseur agit dans l’impunité tout en confrontant sa victime à la violence d’une agression corporelle. Ainsi, l’individu pourrait se retrouver de l’autre côté d’une cloison ou d’un plafond, et par le biais d’une technologie d’avant-garde, être pleinement en mesure de cibler sa victime par un terrorisme psycho physique. Et cela, en toute impunité! Parmi les différents effets ressentis: celui d’un voltage sur le corps. L’agression se pratique sur des espaces où la victime reste sédentaire (exemple: table-chaise-lit). La victime brise avec la violence en se démarquant de la zone cible. Néanmoins, l’outil semble de transport facile et l’agresseur retrouve sa victime dans un même rapport de violence.

J’ai traité de ces différents profils d’agression afin d’alerter l’opinion publique et les superstructures quant aux rapports de forces entre civils, mais aussi par rapport à l’impunité de l’acte lui-même, de même que par rapport à l’absence de vulgarisation liée aux outils technologiques d’avant garde que pourrait s’approprier le civil d’une société moderne.[5] On le sait par les journaux, la société civile peut s’approprier des outils puissants.[6]

A mon avis, il se trouve que le bill Omnibus de Madame Anne Mc Lellan, Ministre de la Justice canadienne, serait une occasion d’englober ces nouveaux profils d’agressions à travers ce que l’on dit relié au harcèlement criminel. Voilà en bref ce que j’ai voulu signaler à Madame Mc Lellan dans une lettre ouverte publiée en avril dernier.[7]

En prenant connaissance du harcèlement vécu par les deux propriétaires de Pointe Claire, je pouvais mieux situer l’avalement de frontières limitrophes entre locataires, et voir la perversion dans toute son amplitude, quand on sait qu’à travers l’espace-temps le voisin harceleur s’était approprié toutes les frontières de victimes déjà largement à distance du fait qu’ils étaient propriétaires d’une maison et d’un terrain. Constat: les victimes devaient périr ou se révolter!

Toujours selon Hirigoyan, le harceleur pervers veut «tuer chez l’autre la bonne image qu’il a de lui-même».[8] C’est pourquoi, je suis de l’avis de cette dernière quand elle écrit qu’un pervers ne veut ni entente ni thérapie.

Je suis d’autant plus convaincue que le militantisme de terrain et mon expérience toute personnelle me l’auront confirmé. Bref, sur les deux versants, j’y aurai appris que la victime confrontée au harcèlement pervers n’a d’autres moyens que de rendre visible cette violence. Et tout en orientant sa libération à travers le recours aux droits de la personne et au droit à l’intégrité domiciliaire, responsabiliser les harceleurs. Il ne pouvait en être autrement pour les deux citoyens de Pointe-Claire.

Des obligations m’empêcheront de participer à la marche de dimanche le 27 mai, mais je n’en désire pas moins signaler mon appui, tant comme écrivaine que militante travaillant à la préservation des droits humains et du droit à l’intégrité domiciliaire.



Jeanne Gagnon
Écrivaine et fonctionnaire
Date: 25 mai 2001
 
Copie envoyée à: Françoise David (Présidente de la Fédération des femmes québécoises), Paul Bégin (Ministre de la Justice du Québec), Serge Ménard (Ministre de la Sécurité publique), France Desjardins (Présidente de la Régie du logement), Gilles Duceppe (Député du Bloc québécois – Laurier/Ste-Marie) et Ann Farrell (Journal Visions Voisin).

Lettre non-publiée par Le Devoir.



[1] Hirigoyen, Marie-France, Le harcèlement moral - La violence perverse au quotidien, Éd. Syros, 1998.
[2] «Quand l’intolérance fait basculer le quotidien», Le Devoir, 23mai 2001.
[3] Hirigoyen, Marie-France, Le harcèlement moral - La violence perverse au quotidien, Éd. Syros, 1998, p. 140.
[4] Hirigoyen, Marie-France, Le harcèlement moral - La violence perverse au quotidien, Éd. Syros, 1998, p. 88.
[5] Visions Voisins (Le journal a publié sept articles dénonçant de nouveaux profils d’agressions)
[6] «L’homme armé au concert de Céline Dion a été libéré», Le Devoir, 6 janvier 2000.
[7] Visions Voisins, vol. 8, no 3, 30 avril 2001.
[8] Hirigoyen, Marie-France, Le harcèlement moral - La violence perverse au quotidien, Éd. Syros, 1998, p. 207.

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