jeudi 17 janvier 2002

L’émancipation et la longue marche vers l’égalité

Depuis les événements du 11 septembre 2001, il m’a semblé redécouvrir la vérité cachée d’un adage voulant que «Nul humain ne se sauve sans sauver tous les hommes». Sans pouvoir remonter aux origines de la maxime, chaque fois qu’elle était énoncée ou ramenée à mon esprit, j’y voyais un idéal spirituel. Il m’aura fallu la catastrophe de l’automne 2001 pour comprendre que l’adage n’est en rien spirituel mais réaliste et porteur de la vérité du destin humain.

Voilà pourquoi Hobbes a pensé que : «chacun voulant sa sécurité, il faut un pouvoir fort qui empêche l’homme d’être un loup pour l’homme».[1] A sa façon, Hobbes ramenait à la concertation autour du sens commun, c’est-à-dire autour d’un bien général profitable à toute la communauté humaine. D’ailleurs, il m’apparaît que le mythe originel de la concertation pourrait se rattacher à l’Homme des cavernes.

Il est reconnu que l’ordre n’est pas naturel et c’est Rousseau qui le dit. Il s’agit néanmoins d’un droit sacré fondé sur des conventions.[2] L’humanité a évolué à travers les violences tout en revenant à l’ordre par l’organisation sociale. La science a contribué à l’ordre, mais avec le temps, elle confronte à des points de non-retour. Bref, certains choix humains peuvent jouer contre l’évolution de l’humanité, puisque nous sommes arrivés à un stade où l’outil peut exterminer l’homme. Avec certains philosophes, on admettra que ce n’est pas la science qui est le danger mais l’humain dans sa fragilité. Nayla Farouki ajoute ce qui suit : «l’humain est un être faillible et fragile. Il oscille toujours entre le bien et le mal. (…) Et là où l’humain devient dangereux, c’est lorsqu’il est en possession d’un outil qu’il peut utiliser contre les autres comme une arme. Or la science donne cette puissance.[3]

Malgré la morosité, les festivités de fins d’année sont venues. Il nous a fallu passer aux souhaits, croire aux hommes de bonne volonté, s’animer de la vertu d’espérance d’un ordre nouveau alors qu’il ne s’annonce nulle part.[4]  Pour Zaki Laidi le monde est train de vivre la crise politique de la mondialisation, crise que le drame du 11 septembre vient cristalliser. Selon lui, ne serait-ce que par rapport à l’ordre du monde, la crise politique intensifiée par le drame de l’automne 2001 nous obligera à une relecture de la mondialisation.

En ce début d’année, malgré la morosité qui règne, j’ai pensé faire ce qui m’était coutumier, à savoir renouer avec les parents et amis, offrir des vœux, répondre aux vœux, discuter de mes défis et de ceux qui manquent à l’ordre du monde.

Au fil des lectures, on remarque qu’il se trouve des hommes et des femmes de grande vaillance au sein des communautés humaines…malgré les violences. Ces personnes ont le mérite de leur foi. Il ne s’agit pas d’y voir du religieux mais plutôt la fermeté d’un humain qui a foi dans l’acte ou prolongement d’une pensée pouvant refaire l’ordre à travers le réel immédiat. Ainsi ai-je trouvé cette parole de défis résolus et orientés vers un engagement radical (…) afin de dépasser l’absurde tout en cherchant le sens»[5]

Pour ma part, je continuerai à faire avancer les projets antiviolences. Au cours de l’année, je serai particulièrement dédiée à l’évolution d’une publication collective sur les violences en logements. Pour l’instant, il s’agit d’ouvrir à la préparation de cette publication, laquelle s’articulera autour d’un récit personnalisé par toute victime. Chaque récit servira de matière à l’élaboration d’une réflexion politique imageant le vide juridique et déstabilisateur de la liberté quand il y a rapport de forces par les violences.

La réflexion politique englobera les modèles sociaux, à savoir les modèles d’autonomie que sous-tend l’évolution des femmes à travers plus de vingt-cinq ans de féminisme. On verra que malgré les modèles d’émancipation vers l’autonomie, la violence demeure un problème pour la cité démocratique. Car, l’émancipation de la femme est fortement menacée de déstabilisation par de nouveaux rapports de forces. Il s’agit de violences multiformes n’ayant aucun lien avec un mari ou ex-mari, ni avec l’amant ou l’ex-amant, mais bien d’une violence pratiquée dans une visée de domination sur la victime. La violation du territoire s’exerce sous divers modèles. Ces violences (psychologiques-physiques-économiques) visent l’expulsion. Cette publication collective permettra également d’ouvrir sur les profils agresseurs-agressions-outils tout en faisant les liens avec le Code civil.

Il sera largement question des technologies. A ce jour, peu d’information circule sur le sujet. Et pourtant, on constate par les journaux que des civils utilisent les armes légères. [6]  Il en est de même pour les policiers qui, dans l’exercice de leurs fonctions, vont terrasser des civils avec les armes légères sans que les journaux ne traitent le sujet autrement que comme matière à information.[7] En résumé, la vulgarisation auprès du grand public est inexistante.

Afficher la violence tout en s’affirmant :
Indubitablement, toute publication est l’affirmation d’une identité. La publication sur les violences en logements s’avère affirmation de l’identité citoyenne tout en étant une volonté politique autour de l’égalité citoyenne.

Par contre, le rapprochement avec le féminisme politique est de l’ordre d’ une intention qui va plus loin. Cela dit en tenant compte que la cité, tant pour l’ordre social que pour la concertation, a besoin du porte-voix du féminisme. En s’arrimant sur le porte-voix du féminisme, le collectif arrive à rejoindre la majorité des femmes. Ce qui permet d’amener la vérité de l’adage dans ce qu’il a de profonde vérité, à savoir que l’humain ne saurait se sauver seul.  Le dépassement de la violence ne veut pas la fuite. Quand bien même tous les civils de New York quitteraient la ville…ils n’auraient rien résolu du problème. Quant aux violences en logements, la femme qui accepte l’expulsion en croyant trouver la paix dans un autre quartier ne fait que différer le problème. Dans l’un et l’autre cas, il y s’y trouve le repli dans l’individualisme, alors que la concertation permet de fonder le bien commun. Ce que représente bien l’adage si je le transpose comme suit : «Nulle femme ne saurait se sauver sans sauver toutes les femmes» .

Depuis le début, j’ai reconnu dans ce combat qui fut le mien , celui de toutes les femmes. Voilà pourquoi l’évolution normale est que le porte-voix du féminisme favorise la concertation pour l’égalité citoyenne. A ce moment, le dossier devient politique et dans le prisme d’autres valeurs, là où la cité démocratique prépare l’ordre du monde et l’égalité des hommes et des femmes.


Copies conformes envoyées à: 
Présidente de la Fédération des femmes du Québec, Ministre de la Justice du Québec, Ministre de la Justice du Canada et Présidente de la Régie du logement.


[1] ROUSSEAU, Jean-Jacques, Le contrat social, p. 17.
[2] Op.cit., p. 41.
[3] FAROUKI, Nayla, «Qui a peur de la science? C’est de l’homme dont il faut se méfier», Le Devoir, 24 déc. 2001.
[4] LAIDI, Zaki, «Le nouvel équilibre mondial espéré n’émergera pas des ruines du 11 septembre», Le Devoir, 4 janvier 2002.
[5] GIGUERE, Joseph, «Souhaits pour 2002 : que l’humanité devienne une grande famille», Le Devoir, 7 janvier 2002.
[6] «Lettre ouverte à la Ministre de la Justice du Canada», Visions Voisins, vol. 8, no 3, 30 avril 2001.
[7] «La Ville trouve finalement son prétexte», Le Devoir, 4 octobre 2001.


Publié dans Visions Voisins, vol. 9, no 1, 1 février 2002.

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