mardi 1 décembre 2009

Interview d'Emily Rose Michaud - Champ des possibles

Introduction
Emily Rose Michaud est une artiste multidisciplinaire engagée. Son implication citoyenne au sein du Chantier citoyen du Mile-End touchait particulièrement le parc du Roerich Garden. J’ai voulu faire une entrevue qui permette de cerner les faces cachées d’un grand projet, mais aussi projet futuriste lié au devenir de l’urbanité à travers l’artiste et le design. A noter que le design de l’espace (proposition 2) publié par le Chantier citoyen est révélateur de ce que deviendra ce parc aux abords du Monastère des Carmélites.



J.G.
Pourrais-tu nous retracer les événements qui ont pu donner vie au parc nommé Roerich Garden et qu’on retrouve dans ce quartier St-Viateur en revitalisation?

E.R.M.
J'ai perçu le champ comme un territoire de création libre du fait que je voulais faire une installation dehors et de grande dimension. L'installation artistique est devenue travail artistique, en même temps que communautaire collaboratif et manifesto politique. L'installation (in situ) était parfaite pour le site. Le symbole était placé là pour parler de la signification culturelle de cet endroit. En poursuivant mon travail, mon intérêt au lieu s'est approfondi et je me suis attachée très vite. L’attachement est devenu obsession. Elle m'amenait à découvrir l'histoire du lieu, tout en développement mon goût de partager cette histoire avec d’autres. La transition s’est faite jusqu’à me donner envie de rendre hommage au site à travers nos efforts physiques. Ce qui venait intégrer l'ensemble des jardiniers d’un projet nommé «Le Pouvoir aux Pousses».

J.G.
Est-ce que le nom Roerich Garden était du site avant ton installation sur les lieux ou s’il a été donné par le groupe ayant œuvré politiquement à l’évolution de ce parc ?

E.R.M.
C’est moi qui ai donné le nom à ce grand projet. Le point central est le Jardin Roerich, un nom auquel viendra s’ajouter «Le Pouvoir aux pousses» (Sprout Out Loud). Ce qui permettait d’accentuer la relation d’écoute avec la nature et de la mettre en relief avec le jardin et le symbole. Il s’agit de l’union entre nature et culture.

J’avais déjà fait l’utilisation du symbole environ deux ans à l’intérieur de mon travail artistique, et cela, bien avant le jardin. Roerich et Jardin sont deux symboles de vie venant unir la nature et la culture. Je trouve important de signaler que l’histoire du nom et du symbole du Jardin Roerich est intimement liée à celle de Nicolas Roerich, peintre russe associé au mouvement Pax Cultura (Paix à travers la Culture, Culture à travers le Paix.) Roerich s’était réapproprié un symbole, leque était composé de trois cercles symbolisant une interconnexion entre les différentes sources d’évolution que sont religion, art et science.

J.G.
Au fil du temps, ce parc a pris de l’importance et on y sent un immense éveil, mais aussi de l’intérêt pour l’évolution de la biodiversité. Peut-on y voir un profil évolutif définitif?

E.R.M.
Cet endroit est un véritable lieu de rencontre et un champs d’intérêt des habitants du quartier. J'ai rencontré des gens de qualité à travers ce projet, Ainsi, j’ai fait la connaissance de botanistes, d’herboristes, d’architectes paysagistes, et de quantité d’individus que je ne pourrais énumérer ici, tant la liste est longue. L’intérêt a grandi du fait que j’ai voulu rejoindre beaucoup de monde. A preuve: j’ai organisé des tours guidés avec des éducateurs et des personnes ayant une connaissance approfondie de la nature. Alors là, le grand public s'est senti interpellé et l’intérêt a grandi. Sans oublier ces autres réseaux de chercheurs, d'étudiants et d'artistes venant depuis longtemps parce que fascinés par la biodiversité.
J.G.
Je peux constater ton implication artistique. D’où vient ce virage vers l’engagement politique des dernières années pour la cause du Roerich Garden ?

E.R.M.
Ce virage me venait d’une conscience interpellée par l'action. Mon travail d’artiste engage les idées à travers une énergie débordante. J’avais besoin d’équilibrer tout cela à travers l’équilibre physique. Ce qui me demandait un contact avec la vraie vie. Ce projet du Roerich Garden était aussi une façon d’unifier mes intérêts tout en les intégrant à ma démarche artistique, laquelle est très interdisciplinaire. Je considère que l'engagement politique de l’artiste devrait davantage se connecter à la vraie vie pour devenir accessible à tous.

Donc, l'initiative pour l'ensemble des jardiniers du «Pouvoir aux pousses» partait d'une intention, à savoir : préserver des traditions et connaissances oubliés et donner une voix artistique à des éléments de la nature. Je rappelle que l’art peut se voir isolé de la vie. La raison est que l’art est trop souvent un objet fini, fermé par le processus de création qui s’en est échappé. Ce qui chasse l’inspiration… et c’est la mort. Je cherche une façon différente d’introduire l’art vers les gens tout en respectant ma voix artistique, mais aussi en collaboration avec les éléments de la nature.

Ma première passion a été la peinture. Toutefois, depuis 2006 j’ai voulu m’insérer dans une échelle plus grande. M’inspirant d’ailleurs de plusieurs artistes qui, dans les années soixante-dix, ont introduit le courant appelé «Land Art» ou «Earthwork», tout en développant ma propre démarche artistique. Contrairement à certains artistes de l’époque ayant une pratique plus imposante sur le paysage, ma démarche implique non seulement une écoute, mais aussi collaboration avec la nature, tout en y ajoutant le lien avec ma communauté.
Je reconnais que le projet est maintenant devenu plus grand que moi. Ces artistes du Land Art se sont souvent appropriés la nature en la détruisant. J’estime qu’il s’agit d’une relation malsaine puisque leur création implique jusqu’aux bulldozers. J’y vois un manque d’écoute et un égoïsme artistique inapte à l’équilibre. Ma recherche veut l’espace, le lieu, la terre mais dans un lien plus harmonieux et discret. Ce qui s’avère primordial à mes yeux.
J’ai beaucoup d’affinités avec les féministes qui veulent le dépassement des cadres établis en sortant de traditions imposées par le patriarcat et par la logique cartésienne. Ce qui rend l’histoire de l’art difficilement accessible pour plusieurs peuples et communautés marginales. C’est au cours de diverses lectures (entre autres : Bell Hooks, Belonging : A Culture of Place) que ma philosophie s’est construite.
J.G.
A quoi réfère le symbole Roerich Garden ? Un symbole dont tu parles comme symbole repérable du haut des airs pour qui voudrait reconnaître le territoire en survolant le Mile-End ?


E.R.M.
Ce symbole fait référence à la préservation culturelle. Je dois mentionner qu’il s’agit d’une référence de préservation de la culture reconnue internationalement. Durant la deuxième guerre mondiale, on utilisait cette référence pour la protection des monuments et institutions de valeur historique et culturelle. Ce qui a permis la préservation des bombardements. Ce symbole est un symbole culturel à l’égal de ce que représente la croix rouge. Le grand signifiant est l'union de la nature et la culture. Sans oublier que les trois points à l'intérieur ont aussi leur signifiant, à savoir les trois dimensions de la vie humaine devant être protégées en temps de guerre (religion, science, arts). Par-delà la zone protégée, il y a aussi celle qui attire la vie.

J.G.
J’ai appris qu’un livre sur le Roerich Garden serait publié en 2010. S’agit-il d’un livre relatant l’historique d’un combat citoyen exemplaire ou plus encore ?

E.R.M.
En ce moment, je travaille sur la rédaction d’un livre qui rend hommage au Jardin Roerich, ce champs bien aimé représentatif d'une participation interactive. L’idée d’un livre en collaboration m'est venue en novembre 2008. Il s’agit d’une collaboration avec Christine Préfontaine dont la maison d’édition Artefatica offre des publications qui peuvent être librement copiées et remaniées sous la seule condition de créditer la source de l’original. Je collabore également avec Kim Mok, designer graphique. Le livre du Jardin Roerich sera divisé en cinq parties. De la sorte, la publication peut intégrer l’histoire d’un grand projet artistique y incluant celle touchant la communauté. Des photographies rendront vivantes certaines des réalisations. L’avenir du Jardin Roerich (la "bioremédiation" en est un exemple) introduira à des alternatives locales et internationales en ce qui touche la préservation de la vie naturelle et sauvage au sein des espaces urbanisés.
J.G. :
Ta passion pour le jardin nous est davantage dévoilée par l’interview. Par contre, à l’intérieur du Chantier citoyen j’ai appris que tu comptes prendre tes distances avec le Roerich Garden, tant pour te consacrer à la sortie du livre que pour tes obligations artistiques et professionnelles. Même si tu laisses un réseau de fidèles militants, selon toi, quelles sont les habitudes de vie à promouvoir pour l’évolution de ce territoire vert?

E.R.M.
J’ai pensé avoir accompli ce qui devait s’accomplir par ma participation. Je me retire en me disant «qu’il adviendra ce qu’il adviendra» ! Certes, pour rester vivant, le jardin aura besoin de mains, voire de pieds si on veut garder le symbole Roerich visible. Tant que le jardin réel sera maintenu vivant, il y aura rappel en vue de la conservation culturelle de ce territoire. Le travail voudra de la participation entre mai-octobre de chaque année c’est certain. Les bénévoles seront nécessaires, mais chaque personne y mettra le nombre d’heures qu’elle voudra. Il pourrait s’ajouter une image du symbole sur la clôture ou même des tiges et pierres sur le sol afin de maintenir la visibilité du symbole. Il sera important que les bénévoles puissent travailler dans une même volonté de tenir compte du symbole. Il ne faut pas oublier que ce symbole doit demeurer visible à distance, voire même du haut des airs, tout en tenant compte d’une géométrie qui soit précise.

A mon avis, il ne sera pas nécessaire que s’exerce une coordination si chaque bénévole vient participer dans la vision de certains objectifs. Ceci englobe l’ensemencement à son heure. Le modèle (template) s'est déjà enraciné dans la conscience collective de notre quartier.



Pour en savoir plus et pour être inspiré, visitez les sites :
http://www.emilyrosemichaud.com/
http://www.roerichproject.artefati.ca/


Publié dans Bulletin L’Arc-en-Ciel, vol. 2, no 9, déc. 2009.


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