vendredi 1 octobre 2010

Interview de Roger Latour, naturaliste

Compte tenu du vif intérêt des locataires de la Résidence Le Mile-End pour le Champ des Possibles, Roger Latour, naturaliste et auteur du «Guide de la flore urbaine», a bien voulu prêter une oreille attentive à quelques interrogations environnementales liées au territoire.



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Question: Nous voyons évoluer le Champ des Possibles depuis 2008. Quel éco-système sommes-nous en train de favoriser à travers le Champ des Possibles?

Réponse: Quelle question! On peut dire que ça commence bien! Il y a en fait ce qui ressemble à trois éco-systèmes au Champ: le champ au centre qui ressemble assez à une terre en friche à la campagne. Il y a aussi des haies d’arbres et d’arbustes du côté d’Henri-Julien qui ressemblent aussi à celles que l’on trouve en campagne le long des chemins ou des fossés et ruisseaux. Enfin la partie Ouest, du côté des grands immeubles, on trouve un équivalent d’une forêt de feuillus. Les plantations supplémentaires iront dans cette logique. Si je résume: il s’agit d’orienter plantes et arbustes aux bons endroits! Le but reste d’introduire des arbres à fruits pour les oiseaux, mais aussi des plantes à nectar pour les abeilles et papillons,… De plus, comme il y aura un étang, tout individu traversant le Champ des possibles sera en contact avec les quatre écosystèmes du territoire.


Question: Dans cette évolution, on peut noter un discours naturaliste lorsqu’il est question de décontamination. Est-ce une méthode capable de répondre aux normes de salubrité tout en permettant la fréquentation du Champ des possibles?

Réponse: Il y a mille techniques éprouvées de décontamination. Nous allons favoriser les procédures les moins perturbatrices pour les arbres qui s’y trouvent. Des méthodes de décontamination comme l’utilisation de plantes qui “absorbent” et extraient les contaminants. C’est la phytorémédiation (phyto: plante). Le peuplier est une de ces espèces. L’alfalfa aussi. Il y a toute une série de végétaux différents selon le sol et le type de contaminants. Il y a des procédures plus technologiques et rapides favorisant des injections. A priori, on ne doit en rejeter aucune. D’ailleurs, ce n’est pas tout le sol qui est contaminé et il faut admettre que certaines zones sont considérées plus problématiques que d’autres. Théoriquement, si vous ne mangez pas le sol et ses propriétés, il n’existera aucun danger potentiel de contamination à fréquenter le Champ des Possibles.


Question: Montréal affiche une biodiversité déclarée (L’Itinéraire – Juillet 2010 – page 29). Avez-vous l’impression que le Champ des Possibles est devenu politiquement protégé à travers cette biodiversité?

Réponse: Je crois que l’espace restera un espace vert pleinement nature. Le projet que nous avons développé est complet, crédible et surtout innovateur. C’est un espace d’un nouveau genre que nous sommes en train de développer. Il favorisera le partage des espaces entre les humains et la biodiversité. Actuellement, la mairie de l’arrondissement est d’une réceptivité peu commune. Je crois que nous avons la confiance et l’appui des élus.


Question: Au cours de l’été 2010, on a pu assister à des conférences sur le territoire du Champ des Possibles, conférences qui permettaient de familiariser le public à la biodiversité. Cette approche pourrait-elle favoriser des modèles d’éducation populaire concernant la flore urbaine?

Réponse: C’est un des aspects les plus importants de notre projet: l’éducation de tous par un contact direct avec la nature en pleine ville. La réponse des gens est toujours excellente. Je dois dire que cette curiosité me réjouit! Notre projet comporte ce mandat et les écoles du quartier seront approchées par exemple afin d’offrir aux enfants un contact avec une nature de proximité.


Question: Lors de cette conférence, nous avons pu noter le radicalisme du grand public face à certains spécimens comme l’herbe à poux. Pourquoi garder de l’herbe à poux sur le territoire?

Réponse: Il y a souvent fixation collective envers une ou deux espèces problèmes. Certaines personnes éprouveront une allergie seulement qu’à voir un champ “sauvage”. Quand je leur demande “montrez-moi cette dangereuse plante”, on va me montrer de la tanaisie... Il ne faut pas oublier que le “poison” est relié à une dose. Rêver d’éradiquer à 100% cette plante est inutile, d’autant plus qu’un petit insecte fascinant en dépend, comme le papillon monarque dépend de l’asclépiade. Une tolérance raisonnée (et généreuse!) est toujours la meilleure attitude en ce qui regarde la biodiversité en milieu urbain. Le nombre de plantes nécessaires à la survie de cet insecte est insuffisant pour émettre une quantité de pollen allergène. En passant l’herbe à poux est surtout concentrée dans le corridor Alma !


Question: Il y a eu deux corvées durant la saison 2010, à savoir une corvée en mai, et une dernière en septembre. L’après-corvée nous fait voir un territoire plus écologique. Je pense que le territoire du Champ des Possibles fait partie du tracé de l’Éco-sentier Lahaie-Laos. On peut imaginer l’augmentation de la clientèle par l’appartenance au sentier Lahaie-Laos, lequel ouvre à un sentier de marche écologique. Ne devrait-on pas, dès maintenant, travailler sur des consignes associées à la culture «durable» à travers des comportements avisés?

Réponse: Le Champ des Possibles ne fait pas partie du projet de l’Éco-sentier Lahaie-Laos. Il s’inscrit plutôt dans la perspective d’une «trame verte» autour des voies ferrées (bio-corridor en gestation). En parallèle à ce corridor de circulation pour la biodiversité, il faut y voir la gestation de promenades vertes pour les humains depuis le Parc Laurier jusqu’au Champ des Possibles…voire plus loin. Des consignes pour les utilisateurs sont présentement en développement. Bien sûr, il y encore bien des choses à réfléchir!


Question: Ce souci écologique ne peut qu’introduire à des espaces aménagés uniquement pour les promenades avec chiens. Qu’en pensez-vous?

Réponse: Les chiens peuvent être un problème pour les humains et la biodiversité des lieux. Il ne faut peut-être pas oublier que les plus importants prédateurs des oiseaux sont les chats toutefois! S’il est assez facile (et probablement nécessaire) de réguler la présence des chiens (où le tenir en laisse, sacs pour les excréments,...) il est beaucoup plus difficile de réguler la présence des chats puisqu’ils peuvent sortir de la maison sans contrôle. Si le comportement des chats est plus discret, il n’en présente pas moins des impacts sur l’environnement.


Question: Vous avez déjà publié le «Guide de la flore urbaine». Est-ce que le Champ des Possibles pourrait devenir l’objet d’une publication spécifique?

Réponse: L’artiste Emily Rose-Michaud, qui a fait le Jardin Roerich dans le Sud du terrain et qui est l’inspiratrice du mouvement de préservation de l’espace vert, met la dernière main à un livre qui portera sur son projet et son prolongement, celui du Champ des Possibles. Je crois que ce livre (fait avec de nombreux collaborateurs de tous horizons) couvrira tous les aspects de la réflexion sur le passé et l’avenir des lieux. «Nature et Culture, Histoire et Avenir» feront de cette publication un livre magnifique!


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Le Comité du Champ des Possibles deviendra bientôt Les Amis du Champ des Possibles. Notre volonté d’éducation produira quelques brochures et petits ouvrages. Tout le monde pourra, sans faire d’erreur, reconnaître l’herbe à poux... et bien d’autres spécimens!

J’espère que vous, et d’autres bien sûr, rejoindrez le cercle des Amis du champ des possibles en train de se former!


Publié dans le Bulletin l’Arc en ciel, octobre 2010.


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