mardi 6 mars 2012

Qu'est-ce que le féminisme?

Par : Jeanne Gagnon

La journée du 8 mars invite à un regard inquisiteur sur le féminisme.  Ma perception de féministe s’est étoffée par le militantisme terrain doublé de la fréquentation des grandes figures du féminisme.  Je pourrais citer de multiples femmes ayant participé à mon éducation,  car les influences sont multiples.  Le langage de France Théoret reflète à la fois l’image du féminisme intellectuel et terrain par cette phrase : « Le mouvement féministe repose sur une expérience, le passage du privé au public ». (…).  « Le féminisme est un horizon sur la société et la politique, comme toute expérience intellectuelle appelant le goût de la connaissance. »  [1] 

Ce regard sur le 8 mars restera superficiel tout en rappelant aux grandes idées du féminisme à travers l’implication personnelle ou collective.  Au fil du temps, tant les femmes que la société civile perçoit la  volonté politique du féminisme pour l’égalité hommes-femmes tel un pont pouvant conduire à un monde meilleur, voire  à un monde sans guerre!  

Les archives québécoises font état d’une réflexion féministe quant à l’idée d’une société sans guerre dès les années 60.  Preuve nous en est donnée  par cette rencontre d’avant-garde  relatant l’ordre du jour d’une soirée du 8 mars 1960.  Dans les faits, on y traitait de paix et désarmement à partir du rôle exercé par quelques femmes de l’élite québécoise. C’était l’époque où Simonne Monet-Chartrand revenait d’une mission de paix avec la Délégation canadienne dans 11 capitales d’Europe.  Dans sont récit autobiographique, elle affirme :

 « il était de la volonté des femmes de l’époque quant à l’idée d’entreprendre des revendications politiques pour que notre pays soit déclaré zone libre de toute arme nucléaire, pour que les dépenses militaires soient diminuées et que ces fonds servent à des fins pacifistes (santé – éducation – etc.) ».   [2] 

Malgré la mise sur pied d’un comité Femmes et mondialisation au sein de la Fédération des femmes du  Québec, comité dont je suis membre depuis plusieurs années et dont la préoccupation est liée au développement de la mondialisation,  de même à l’idée d’une société sans guerre, on note les difficultés à faire apparaître l’image négative du Canada face à ses positions à l’échelle internationale.   Le féminisme est d’une nécessité absolue pour l’évolution d’un monde sans guerre, mais  il reste que la faiblesse du féminisme pourrait  s’avérer l’écart entre l’intelligentsia et féminisme « terrain ». Ce qui fait que l’éducation populaire n’arrive pas à donner sens à des prises de position féministe qui rejoindraient la société civile.

En rapport avec l’idéal d’une société civile proche des positions gouvernementales,  la réflexion d’un éditorialiste rattaché à la politique internationale renvoie  à l’écart pouvant exister entre une société civile et le  pouvoir politique en place:
 L’armement produit un nombre politiquement préoccupant d’emplois et de votes. Il est futile de rappeler que les États-Unis sont les premiers vendeurs d’armes au monde et que le premier vendeur d’armes est, presque inévitablement, celui dont les emplois dépendent le plus de cette sinistre et gloutonne industrie.  Rappelons quand même que les États-Unis occupent ce premier rang et gonflent leur avance sur les autres marchands de canons de relevé en relevé. Comme le budget militaire étatsunien équivaut aujourd’hui au total des dépenses consenties par les quinze ou vingt pays suivants, on imagine à quel point l’emploi militarisé pèse lourd dans les élections américaines.  En ce sens, un président américain ne maîtrise jamais parfaitement le cheval sur lequel il caracole et la substitution d’un cavalier à l’autre ne change pas nécessairement grand-chose aux fonds de l’animal.  [3]

N’oublions pas que tout ce qui intervient à travers le quotidien peut avoir une influence réelle sur les politiques gouvernementales.  France Théoret  fait un rapprochement quant à l’évolution des femmes du Québec à travers l’émancipation amenée par le féminisme, et plus particulièrement,  lorsqu’elle signale que « le mouvement littéraire articulé autour du féminisme est né d’une culture laïque voulant la reconnaissance efficiente de l’existence de deux sexes.  [4]   

La bataille pour l’égalité fera partie des défis tant et aussi longtemps qu’il y aura inégalité entre les hommes et les femmes.  L’idée d’égalité ne peut que renvoyer aux  mutations amenées par la laïcité avec les années 60.  Toutefois, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (dont l’article 50.1 et le préambule) introduit le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et la liberté religieuse. [5]  Madame  Christiane Pelchat admet d’emblée que « la voie est parsemée d’embûches ».  Ce qui fait de la question du voile un « lieu de réflexion » à travers débats en vue de balises ayant des incidences sur l’égalité hommes-femmes, et de même sur l’exercice de la liberté de la personne au sein d’une société pluraliste. 

Ces luttes demanderont un certain courage.  Il faut se rappeler qu’une  féministe comme Thérèse Casgrain a mené un combat ferme, malgré l’idée de division au sein du mouvement des femmes.   De fait, les archives prouvent que,  consciemment, elle fit le choix de vivre cette division dans le but de  servir la cause du  Mouvement des femmes à travers des principes idéologiques.  C’est pourquoi  elle écrira :  « c’est à cette condition qu’un discours féminin autonome pourra émerger ».   [6]     Je rappellerai que son discours avait été devancé par l’audace d’une autre féministe, à savoir par Simone Monet-Chartrand, qui, en 1940,  se présenta devant l’Épiscopat en vue de les saisir des besoins d’une spiritualité vraiment laïque. [7]  

CONCLUSION :
Le féminisme a lancé un processus de réflexion concernant les 20 dernières années du Mouvement des femmes.  La mise en branle en 2011 aboutira aux états généraux du féminisme devant se tenir en 2013.  Ce processus devrait avoir un réel impact, et plus particulièrement si la liberté d’expression en fait un lieu de débats non contrôlé par l’intelligentsia.  L’enracinement terrain est à ce prix.

Rappelons qu’en 1975  le Mouvement des femmes projetait de grands thèmes de réflexion et d’action…lesquels thèmes demeurent d’actualité. Ces thématiques portaient sur : le corps, le travail, la parole et le pouvoir. [8]   Cette référence tient compte de la volonté politique du féminisme de l’heure à travers :  
  • L’émancipation de la femme face au patriarcat;
  • L’autonomie de la femme à travers le corps;
  • Le décloisonnement des violences à travers les rapports de forces
  • L’éducation citoyenne permettant de faire des liens entre démilitarisation – industrie de l’armement – transfert de l’économie et monde de paix.

Bonne fête du 8 mars à tous et toutes!


[1]  Écrits au noir – France Théoret – Ed. Remue Ménage – Ed. 2009 – p. 100

[2]  Ma vie comme rivière – Autobiographie – Tome 3 – Ed. R-Ménage -S.Monet-Chartrand-  (pp. 315-316)
[3]  Les enfants de Winston – Essai sur la jovialité – Laurent Laplante – Ed. Anne Sigier 2003 (p. 51)
[4]  Écrits au noir – France Théoret – Ed. Remue Ménage – 2009 – p. 65
[5]  Pour une pleine participation des femmes à la société (Christine Pelchat présidente du Conseil du statut de la femme – Gazette des femmes – janv-fév 2011, p. 5).
[6]  L’Histoire des femmes au Québec  depuis quatre siècles – Collectif Clio – Ed. Quinze – pp. 453-454
[7]  Ma vie comme rivière – Autobiographie – S. Monet-Chartrand – Ed. R-Ménage – Tome 3 (pp. 47-48)
[8] L’Histoire des femmes au Québec – Collectif Clio – p. 494

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