mercredi 27 septembre 2000

Lettre ouverte à la Gouverneure générale du Canada

Adressée à la Très Honorable Adrienne Clarkson, Gouverneure générale du Canada.


Madame la Gouverneure générale,

J’ai pris connaissance de vos défis par l’entrevue publiée dans les pages du quotidien Le Devoir.[1] La noblesse qui s’y rattache vous honore d’autant plus que ces défis serviront tant la cause des femmes que les victimes de violences.


Et pourtant, malgré l’apport qui en découle, il m’apparaît que la plate-forme et la volonté politique auraient avantage à dépasser l’approche de groupes cibles. D’une part afin de conscientiser le milieu féministe quant à la solidarité envers les violences; d’autre part afin de politiser le débat par-delà les femmes violentées et ramener la population canadienne à l’importance de l’intégrité domiciliaire que veut l’article 7 de la Charte des droits. A mon avis, le logement intervient comme première plate-forme d’une solidarité autour des violences. Mais encore faut-il que les réseaux d’aide soient aiguillés, voire même outillés de façon conséquente si l’on veut répondre aux risques conduisant à l’augmentation des profils de violences.

Nul ne peut ignorer que le havre domiciliaire s’avère tant le premier que le dernier rempart de l’humain. La violence sur laquelle vous projetez de vous pencher est celle d’une femme battue. L’autre défi est relié aux femmes nouvellement débarquées au Canada. Les deux femmes vivent l’angoisse d’une transition. Le territoire de l’une et l’autre pourra être communautaire par l’hébergement, sinon dans l’autonomie d’un domicile personnel. Ce qui ramène à la vie de locataire mais plus encore à la violence sur le havre de l’esseulée.

On oublie que trop, Madame la Gouverneure générale, combien les zones de protection liées au domicile de la femme seule (par choix ou non) restent précaires. Cela même dans une société comme la nôtre voulant le respect de la Charte des droits! Ce qui me fait dire que le profil des violations de droits de la Charte obligera tant le législateur que l’État à revoir les Lois et Charte. Cela dit en tenant compte que l’évolution de la société a exigé des lois pour les armes, et que même si le siècle permet la pratique de l’escrime, nul ne saurait passer le voisinage au fil de l’épée sans conséquences!

Dans ce qui nous préoccupe comme violences, il y a des locateurs-locataires qui peuvent pratiquer la violence morale et/ou physique (coups, crachats, dérision, appropriation de l’espace de l’esseulée). La femme violentée moralement et physiquement reste totalement démunie pour faire sa preuve. Car, le plus souvent, en Cour il y a parjure des agresseurs et absence de témoins pouvant corroborer les accusations d’une victime de coups physiques encore très visibles. Bref, le parjure ira jusqu’à parler d’automutilation. Sans témoin pour sa preuve légale, le fil conducteur renvoie à des maisons d’hébergement…et au rapport de forces des agresseurs.

Il y a d’autres modèles de violences, notamment ces modes d’agressions physiques envers des femmes seules, et ce, à partir de technologies non identifiables. Tout de même, technologies accessibles au grand public et dont les méthodes s’exercent à partir d’un objectif précis : affoler et expulser la personne ciblée dans son havre. Encore une fois, nous sommes confrontés au viol de l’intégrité domiciliaire doublée de violences morales et physiques. L’agresseur est présent tout en demeurant dans l’anonymat de la distance par-delà cloisons et plafonds. Ce qui le déresponsabilise face à la victime, laquelle aurait besoin d’un réseau multidisciplinaire (témoins, milieux communautaires, milieu de dépistage orienté par des experts).

 Ces profils d’agression ont des effets tant sur le métabolisme que sur le physique d’une victime. Les sensations sont de l’ordre de vertiges, de nausées, d’échauffements de la peau, voire d’une sensation de voltage dirigé sur certaines zones. Même si la victime peut se démarquer de l’ensemble des effets à partir d’un déplacement minimal, il n’en demeure pas moins vrai qu’il y a agression, viol de l’espace, terrorisme sur le havre.

Sans vouloir nier que l’humanité aura partie liée avec l’évolution de la science, on admettra facilement que la démocratie pourrait perdre sa noblesse à refuser d’encadrer la culture technologique dans les valeurs éthiques. Car, à vouloir pratiquer l’ouverture à tous crins, on piétine la démocratie tout en ouvrant au terrorisme de cuisine chez les civils. D’ores et déjà, il est reconnu que l’évolution du prochain siècle voudra l’éthique.

Pour ma part, j’ai l’intention de suivre le dossier de près et je serai à l’éducation populaire lors de la Marche mondiale des femmes. Par la suite, j’anticipe travailler à la défense des femmes agressées en logements. J’y vois un moyen de jeter l’éclairage sur des violences non médiatisées, tout en conduisant les plus vulnérables vers des réseaux d’aides à réévaluer. De même, un moyen d’ouvrir aux collaborations entre milieux communautaires et policiers. Indubitablement, policiers et gendarmerie devront se pencher sur certains profils d’agressions en émergence.

 A l’occasion de la Marche mondiale des femmes, cette lettre vous veut vous rappeler à l’envergure que pourraient prendre vos défis pour peu qu’ils s’inscrivent dans la foulée des responsabilités et droits de toute personne, mais aussi dans la foulée de l’intégrité domiciliaire. Dès lors, tout individu, victime ou agresseur, aurait le sentiment de repenser son rapport à l’intégrité domiciliaire.

Par ailleurs, cette globalité des défis aurait d’autres atouts, à savoir le développement de la conscientisation de la masse quant au rapport éthique, tout en décuplant la solidarité des femmes autour des violences.

Croyez Madame la Gouverneure générale, que je serai heureuse de collaborer au sein de ma communauté, de même qu’avec les personnes que vous désignerez, en temps et lieu, pour l’application de modalités susceptibles de toucher les profils de violences sur le havre domiciliaire.


[1] Cornellier, Manon, «Adrienne Clarkson : Dans le rôle-titre de la capitale», Le Devoir, 28 décembre 1999.
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Lettre ouverte publiée dans Visions Voisins, vol. 7, no 6, 23 octobre 2000.

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