vendredi 13 septembre 2002

Cession de bail et vide juridique

Dans un jugement rendu le 8 août dernier, la Régie du logement statuait sur la cession de bail entre locataires. Il s’agit du jugement de Maitre Hurlet, lequel vient contredire la décision de la Cour du Québec dans non-reconnaissance du droit de cession d’un locataire envers la personne de son choix. Ce jugement dit explicitement que «La sous-location ou la cession de bail ne donne pas le droit à un locataire de choisir lui-même la personne qui va lui succéder dans les lieux si le locateur préfère mettre immédiatement fin à la relation contractuelle».1

Voilà pour le jugement de Me Hurlet. Il faut se rappeler que la cession de bail fut instaurée au Code civil du Québec en 1994 tout en restant un phénomène sans assise profonde. Le jugement de Me Hurlet fait intervenir l’intention de vengeance du locataire. J’approuve d’autant la décision rendue que la cession de bail aura souvent servi l’exercice de vengeance par le cessionnaire. Bref, ce qui semble un transfert de location peut servir un pacte de violences.

Que ce soit par la plume ou par des ateliers et conférences, depuis quelques années j’interviens auprès de femmes violentées en logements. Toutes ont vécu la polymorphie du harcèlement (psychologique-moral-physique) doublé de l’isolement auquel renvoit le jugement de la Régie. Car, par le parjure, la victime perd tout support. Ainsi, à l’image du personnage du film Irréversible, l’aide extérieure s’éloignera afin d’éviter de se commettre.

Il est connu que les luttes militantes féministes ont précédé la jurisprudence concernant la criminalisation du viol. Il devra en être de même pour les logements. Jusqu’à maintenant les violences y sont perçues comme réalité tribale entre locataires. Cette vision ne peut que se transformer avec les transformations de valeurs et des profils de violences. Ajoutons à ce qui vient d’être dit: croissance de la pauvreté et du chômage et pénurie de logements.

Depuis l’automne 2000, c’est-à-dire depuis les ateliers de La Marche mondiale des femmes, les attendus d’une pétition ont été déposés auprès de la Présidente de la Régie du logement. Il s’agissait d’une première démarche collective pour amener les structures à voir la violence en logements dans ses multiples facettes. Par ailleurs, d’autres démarches m’ont fait intervenir auprès de la Justice, de la Police, de Services sociaux et Comités logements, voire auprès d’instances nettement plus politiques, par exemple la députée de Mercier de qui j’anticipe l’appui.

Le travail de réflexion continue de s’alimenter en tenant compte du travail de terrain par les ateliers. Cela dit en admettant que la lutte est exigeante de temps et de patience Dans l’aspérité de leurs luttes respectives, certaines femmes arrivent à prendre une distance avec ce qu’elles vivent pour ramener la lutte dans une vision agrandie.

Le jugement de Me Hurlet m’est apparu tel l’indice d’une percée quant aux transformations de la jurisprudence, plus particulièrement quant aux profils de violences qui mériteraient d’être reconnus dans l’orbe de l’acte criminel.

Je rappelle ma suggestion à la Présidente de la Régie du logement et dont le contenu se retrouve dans la publication du printemps 2001, plus spécifiquement quant au suivi long-terme de certaines violences.2 Un tel modèle d’encadrement pourrait être mis en application dans le but de faire intervenir des professionnels de la Régie et de Services sociaux du Québec dans un dossier cheminant selon plusieurs étapes juridiques. Bien sûr, le suivi long-terme ne saurait venir sans la refonte de la jurisprudence propre aux logements.

Cela dit en acceptant toute l’importance de l’autorité morale ramenée au locateur par le jugement de Me Hurlet. Même si la cession reste possible de ce côté, il m’apparaît indéniable que tout locateur doit être vu comme «la responsabilité morale et éthique» devant faire respecter l’intégrité domiciliaire.

________________
[1] "Un locataire peut-il céder son bail à qui lui plaît? Non, dit la Régie", Le Devoir, 16 août 2002.
[2] "Lettre à la présidente de la Régie du logement", Visions Voisins, vol. 8, no 2, 28 mars 2001.
________________

Publié dans Visions Voisins, vol. 9, no 8, octobre 2002.