J’ai rencontré Monsieur Mavro Hader, lors du dernier repas
thématique. Il était devenu locataire depuis quelques jours. Ses
origines croates m’ont fait renouer avec le souvenir d’une guerre
ayant laissé des traces en ma mémoire. Je fais référence à la
Guerre de Yougoslavie. Cette guerre provoqua le désir de participer
à un numéro thématique littéraire évoquant les violences de
l’humanité. J’y signais un récit à deux voix dont le titre
était « De Sarajevo à Montréal « (Revue littéraire Moebius 83 –
Décembre 1999 – J’avais également la responsabilité de la
préface). La rencontre avec un Croate me faisait renouer avec
l’éclatement de la Yougoslavie, et particulièrement avec ces
cultures qui, malgré le communisme, ont gardé une identité. Ce que
nous révèle Monsieur Hader à travers l’interview. J’ai voulu
partager ses confidences avec vous tous du Mile-End.
J.G.: Vous êtes au Québec depuis longtemps, mais votre accent
trahit l’appartenance à une autre culture. De quelle origine êtes
vous?
M.H.: Je suis d’origine Croate.
J.G.: La Croatie n’a-t-elle pas été longtemps rattachée à la
Yougoslavie?
M.H.: En effet. Ce petit pays présente une histoire millénaire
où il y eut des périodes d’appartenance à la Serbie.
J.G.: Pouvez-nous situer davantage sur les chocs interculturels
qui pourraient resurgir à partir de l’ouverture des frontières
M.H.: La population répond bien à l’absence de frontières.
Ce qui favorise les échanges dans l’harmonie.
J.G.: Serbes et Croates ont-ils une langue commune?
M.H.: Vous savez, tout en parlant une même langue, à savoir
le Serbo-Croate, lorsqu'il faut passer à l'écrit intervient
l'incompatibilité, car d'un côté on a le peuple Serbe et son lien
avec l'alphabet « syrillique » lié à la langue russe; de l'autre
le peuple Croate dont la langue se rattache aux langues latines.
Comme vous le voyez, d'un côté : le lien ramenant les Serbes vers
L'Est les Croates vers l'Ouest.
J.G.: Vous avez quitté la Croatie en quelle année?
M.H.: J’ai quitté définitivement en 1967, tout en devant
préciser que j’ai vécu de nombreuses années hors de Croatie par
mes études à Paris. Mais je revenais régulièrement dans mon pays.
J.G.: Par ces études post-universitaires, vous avez vécu de
nombreuses années en France. Vous y avez même fondé une famille
par votre mariage à une Française. Les Beaux-Arts terminés, vous
ne songiez pas retourner vivre en Croatie?
M.H.: Non. J’y revenais souvent avec ma femme et notre fille
Florence, mais il me suffisait de pouvoir circuler librement et cela
m’était possible du fait que j’évitais les discussions
politiques compromettantes qui auraient pu me créer des ennuis avec
le régime communiste.
J.G.: Êtes-vous allé en Yougoslavie durant la guerre de Sarajevo
?
M.H.: Non, c’était trop dangereux.
J.G.: Est-ce que des différences culturelles ont véritablement
pu se vivre harmonieusement dans la grande fédération de la
Yougoslavie de l'époque? Je vous le demande parce que lors de la
déclaration de la guerre de Sarajevo, des journalistes laissaient
entendre que Sarajevo s'avérait ville « modèle » d'un
multiculturalisme ouvert et harmonieux. Qu'en pensez-vous?
M.H.: On ne peut pas effacer l’Histoire…elle est là pour
toujours. Sarajevo s’avérait multiculturelle, mais si on retourne
aux différences culturelles de ces peuples, il y avait nécessité
de passer à la souveraineté pour ces pays que sont la Bosnie
Herzégovine, la Serbie, la Croatie, la Macédoine, etc. Ce qui les
fait évoluer politiquement de façon plus réaliste tout en
débouchant sur l’ouverture des frontières.
J.G.: Toutefois, malgré l’éclatement et la souveraineté de
plusieurs pays, il reste que des territoires comme le Kosovo n’ont
pu être conquis par les Serbes. Ce qui reste une défaite pour les
Serbes compte tenu de l’Histoire de la grande Serbie. Je fais
référence à la Bataille du Kosovo qui eut lieu en 1389, et qui,
pour les Serbes reste un fait incontournable. Comment concilier tout
cela sans penser que le territoire reste dans une paix plutôt
artificielle?
M.H.: Il est important que les frontières s’effacent tout en
faisant que chaque pays ressente son appartenance culturelle. Même
si tout n’a pas été conquis, les guerres d’autrefois ne seront
plus possible, car nous sommes à l’heure de la Grande Europe et
ces petits peuples veulent l’absence de frontières et la
souveraineté. Il faut se rappeler que les guerres décimaient les
familles. J’ai moi-même perdu père et grand-père lors de deux
guerres mondiales.
J.G.: Par les journaux, on perçoit que la Croatie a pu traverser
les turbulences de l’éclatement de la Yougoslavie sans trop de
mal?
M.H.: L’absence de liberté qui venait du régime communiste
aura favorisé l’idée d’une souveraineté en vue d’acquérir
la liberté. Le peuple a vécu l’époque du Stalinisme. Ce qui fait
que le totalitarisme était partout, même à l’école.
L’enseignement de l’époque était sous la gouverne du régime
communiste et nul n’aurait pu devenir professeur sans d’abord
avoir adhéré au Parti communiste. La méfiance se vivait à tous
les niveaux.
J.G.: Un jour…vous décidez de quitter la France pour venir
vivre au Canada. Pourquoi?
M.H.: C’était en 1967. Architecte de métier, je ne pouvais
que m’intéresser à cette exposition. Je suis resté trois
semaines. Quand je suis rentré, j’avais l’intention de revenir
pour y vivre, car j’avais aimé l’art de vivre du Québec. Ma
femme était d’accord.
J.G.: Pour le touriste qui arrive en terre Croate…il arrive à
se faire comprendre à partir de quelle langue?
M.H.: L’anglais et le français.
J.G.: Je fais l’interview au moment où vous revenez d’un
voyage de deux semaines en Croatie. Si je vous demandais de me
signaler brièvement ce qui aura attiré votre attention?
M.H.: La liberté de pensée et d’agir des gens. Nos
frontières sont celles de l’Europe et tout le monde circule sans
visa.
J.G.: Vous qui avez beaucoup voyagé et qu’on nomme le « pigeon
voyageur » avez-vous un souhait particulier pour la Croatie?
M.H.: Mon rêve était lié à l’ouverture des frontières et
ce rêve est maintenant de la réalité. Je ne peux rien demander
d’autres.
J.G.: Vous m’avez fait part de l’implication de votre fille
Karen dans les bastions de la culture québécoise. De quel milieu
culturel s’agit-il précisément?
M.H.: Par leur mère, mes enfants sont de descendance
française. Au fil de ses études, ma fille Karen Hader s’est
orientée vers des études en rapport avec des affinités qui l’ont
menée vers des milieux culturels branchés (radio et télévision).
Elle est devenue speakerine. Elle fait partie de l’équipe
rattachée à la Radio Classique FM de Jean-Pierre Coallier et son
fils.
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